Sommaire
Intervenant
Loic Blondiaux est politologue, professeur à Paris I La Sorbonne et auteur de nombreux ouvrages sur la démocratie participative. Il s'intéresse aux formes de la démocratie et aux diverses initiatives de concertation. Il est l’auteur de nombreux livres, dont Le nouvel esprit de la démocratie. Actualité de la démocratie participative (2008). Il a coordonné, avec Jean-Michel Fourniau, l’ouvrage Participation et démocratie : un état des savoirs (2011).
Contexte
Titré “Les nouvelles architectures de la décision collective. Partager, discuter, construire”, ce cours public souhaite mettre en discussion différents nouveaux dispositifs de la décision collective placent « arts » et autre « permis de faire » au cœur de la réflexion, singulièrement du point de vue de la fabrique de l’espace.
En effet, les grandes réflexions engagées autour de la question des communs déstabilisent les cadres qui ont présidé, jusqu’à il y a peu, à l'action sur l’espace. Là où prévalaient les grands arbitrages institutionnels, les principes d’allocations des ressources, les référentiels utilitaristes de la justice... émerge une conception avant tout dialogique de l’ordre collectif, valorisant engagement mutuel et rapports de réciprocité dans une éthique du faire. De nouvelles architectures du travail collectif émergent, appelées à bouleverser nos manières de produire la ville et le territoire. Les tiers-lieux se multiplient, esquissant d’autres voies de participation active à la fabrique urbaine.
Ce cours public est constitué de 9 conférences, érudites tout en restant accessibles à un large public, qui se tiendront, tous les premiers mercredis du mois, au 3DD Espace de concertation (3 rue David-Dufour) entre 12 h 15 – 13 h 45.
Enregistrement de la séance
Prises de notes
Loïc Blondiaux travaille sur la question des architectures de la décision collective en tant que sociologue, en tant que théoricien et aussi en tant qu’activiste. Il participe à plusieurs mouvements, collectif. À paris il évolue régulièrement aux Halles Civiques, un tiers-lieu orienté vers les CivicTech avec notamment Démocratie Ouverte et l’de la participation et de la conce rtation citoyenne, etc. Il travaille actuellement sur sur observatoire du grand débat national français qu’il évoque dans un récent entretien donné au magazine Télérama.
Son point de vue sera français et aussi européen. Il va présenter le travail qu’il mène sur l’effondrement de la démocratie et sur comment y échapper.
Depuis quelques mois apparaisse un certain nombre d’inquiétudes sur la démocratie. Deux ouvrages sortie récemment peuvent expliquer cette inquiétude : Comment meurent les démocraties de Jean-Claude Hazera et le peuple contre la démocratie de Yascha Mounk. Ces ouvrages témoignent à l’heure manière du basculement des démocraties libérales vers des régimes autoritaires. Exemple de Russie, Pologne, Hongrie et Brésil.
Pourquoi cet objet ? il y a 20 ans, la démocratie libérale consitutait la fin de l’histoire avec la thèse selon laquelle la démocratie libérale n’avait plus d’adversaire, ni mouvement dialectique (voir La Fin de l'histoire et le Dernier Homme de Francis Fukuyama). Pour ceux qui réfléchissaient sur la démocratie participative, celle-ci devait compléter le fonctionnement de la democratie représentative. Aujourd’hui c’est la démocratie représentative qui est en jeu.
En France les gilets jaunes constituent une onde de choc, critique et une remise en cause de la démocratie représentative dans une partie des catégories populaires. Pour la première fois depuis des décennies les catégories populaires ont investi l’espace public. Même Alain Touraine à dit que c’était un mouvement social.
Cet exposé est gouverné par un titre emprunté à Charles Dickens dans Un conte de deux villes, une histoire de la révolution francaise : c’est le pire et le meilleure de tous les temps]
• En quoi est-il légitime d’étudier l’effondrement des institutions démocratiques ? • Quelles sont les alternatives ?
En quoi est-il légitime d’étudier l’effondrement des institutions
Qu’est-ce que l’idéal démocratique ? De quoi parle-t-on ?
3 idéaux majeurs qui coexistent :
- la souveraineté populaire : selon la citation de A. Lincoln, le gouvernement du peuple, pour le peuple, par le peuple. Au sein du peuple chacun à l’égale capacité d’influer sur la décision. Les partis politiques sont partie prenante de cet idéal.
- La liberté d’opinion et de manifestation. Sans liberté pas de souveraineté. Il est difficile d’envisager la démocratie sans libéralisme politique. La séparation des pouvoirs relève de l’état de droit. La presse doit exercer son rôle.
- La démocratie renvoie à des formes de vie. Selon Aristote, Tocqueville Dewey, il n’y a pas de démocratie sans actualisation de la vie démocratique par les citoyens ordinaires. La démocratie n’est pas un socle institutionnel. Elle est mobilisations et typologie d’interaction où les citoyens se comportent comme des démocrates. Cela implique que chaque citoyen puisse participer aux décisions, qu’il y ai un sentiment d’égalité. Les citoyens partagent des valeurs (tolérance, écoute, soumission à la majorité, etc). Cela signifie que la démocratie n’existe pas uniquement dans les lieux dédiés. Est-ce que cela peut être ailleurs ? Les entreprises par exemple ou les écoles sont-ils des lieux démocratique ? On s’apercoit que généralement, les institutions démocratiques coexistent avec des institutions non démocratiques.
Dans quelles mesures ces principes sont remis en cause ?
- Des menaces extérieure :
- Les crises environnementales sont des éléments de contexte qui perturbent les institutions démocratiques. Comment ces menaces pèsent-elles sur la démocratie ?
- Les régime de domination qui interfèrent avec le fonctionnement ordinaire . Ex. du soft power de la Russie avec Russia Today.
- Menace interne (pathologie propre) :
- La souveraineté du peuple est une fiction pure. L’influence du peuple sur les décisions est faible. Qui dirige nos sociétés, des acteurs non élus (marché, entreprise transnationale, Gafa). Le vrai pouvoir n’est pas dans l’élection. L’intrication entre des acteurs qui occupent successivement des positions dans l’espace politique, économique montre qu’il y a un pouvoir qui n’est pas influencé par les citoyens. L’élection ne décide plus de rien. Voir l’exemple du referendum en France pour le traité de Lisbonne en 2005. Des réactions : À quoi cela sert-il d’aller voter ! Il y a de toute façon un complot ! Des réactions de défiance avec un sentiment de trahison. Un sentiment selon lequel le pouvoir ne gouverne que pour une fraction des ultras-riches.
- La remise en cause des libertés fondamentales. Régression à bas bruit sans susciter de mobilisation (ex. de la loi anticasseurs en France). Des juristes se mobilisent pour dénoncer cette loi car elle témoigne du néolibéralisme autoritaire selon la formule de Grégoire Chamaiyou dans son ouvrage La société ingouvernable.
- La brutalisation du débat public. IL est difficile d’introduire le dialogue, de faire valoir des exigences de compromis entre les acteurs. La question de l’anti-politique avec le rejet de toute forme de médiation : « nous ne voulons pas être représentés ». La critique des intermédiaires qui débouche sur une absence de corps intermédiaire dans l’espace politique. Les gilets jaunes se focalisent sur le Referundum d’Initiative Citoyenne (RIC). Il doit permettre à la fois de proposer et de voter, d’abroger, de révoquer. Une genre de couteau suisse démocratique. Il existe un désir de se débarrasser de toutes formes de médiation. Ce qui est menacé aujourd’hui ce sont tous les corps intermédiaires, à la fois par l’épistocratie et par un mouvement comme les gilets jaunes. C’est une réduction de l’espace du politique, une réduction de l’espace d’organisation du débat.
Quels sont les signes d’une revitalisation démocratique ?
À partir de la fin du 18e siècle dans les sociétés occidentales a été inventé le gouvernement représentatif (voir Principe du gouvernement représentatif de Bernard Manin ). Il s’agit d’un type de gouvernement qui ne permet pas de se gouverner soi-même (la suisse est un cas assez unique). Le peuple peut exercer sa citoyenneté uniquement lors de l’élection. Hors de cet espace-temps, il n’a plus d’accroche. Bernard Manin analyse le gouvernement représentatif comme la mise en place d’une aristocratie élective. Ce principe de captation à très bien fonctionné jusqu’il y a 15-20 ans. C’est à la fin du 19e siècle, la formulation Démocratie représentative est apparue. C’est un oxymore.
Qu’est-ce qui renaît aujourd’hui : on redécouvre des institutions refoulées, le tirage au sort, la démocratie d’assemblée (importance de la co-présence), le mandat impératif (le représentant reste sous le contrôle du représenté en permanence), le droit de pétition, l’initiative citoyenne, les cahiers de doléances. Ce retour s’accompagne du développement d’outils et de procédure nouvelle : Budget participatif (qui est une invention brésilienne dans les années 90), les interfaces numériques (la technologie peut sous des conditions restrictives d’ouverture des données faciliter la participation citoyenne), la lowtech démocratique, la facilitation, la prise de décision horizontale et tout ce qui facilite la coopération entre citoyens. Nous pouvons parler d’un âge du participatif.
Il apparaît une forte intensité de la vie démocratique dans des espaces autres que les espaces traditionnels. Ce qui se passe dans les ZAD en France ou toutes autres formes d’auto-organisation citoyenne. Je pourrai faire un inventaire pour faire face au scepticisme. Nous pouvons cité des villes ou des pays. Le reportage de Datagueule Démocratie(S) montre que cela peut fonctionner.
3 Stratégies possibles
Paraphrase ici du Sociologue Erik Olin WRIGHT dans son ouvrage Utopie Réelles
- La stratégie révolutionnaire. On prend le pouvoir et on décide de tout changer.
- La stratégie symbiotique. On change les institutions de l’intérieur. C’est une stratégie du temps long qui s’heure à l’inertie et au refus du partage de pouvoir.
- La stratégie interstitielle. Hors du cadre institutionnel qui essaie de changer – voir la Gestion des communs, les ZAD, ou bien la théorie du municipalisme libertaire porté par Murray Bookchin et qui dit en synthèse « On va tout transformer par le bas »
Les limites de ces projets de transformations
- Il est évident que le vieux monde garde des capacités de nuisance forte. Avec lui on doit composer avec des facteurs d’influences dont l’efficacité n’a pas à être démontrée. Ce qui fonde le système c’est la publicité, la communication qui valorise d’autres formes de vie que ceux qui aspirent à changer les choses. Dans ce système les citoyens sont incités à consommer, à produire, à se concurrencer. On ne laisse pas le temps de s’organiser, d’expérimenter.
- Le problème de l’échelle. On sait comment faire de la démocratie directe à une petite échelle. Au dela la question de la représentation et de la confiance finit par se poser. Il est compliqué de matérialiser la possibilité de participer à une échelle de plus de quelques milliers de personnes. La vie démocratique s’encre dans des communautés d’expérience. Des outils peuvent suppléer, mais c’est compliqué.
- Peut-on penser une société politique sans leader ? Y compris là ou des expériences de démocratie participative, il y a toujours des leaders, au moins garant de l’expérience. Qu’est-ce qu’un leadership démocratique. Le leadership semble être la cause et la condition de l’expérience démocratique.
- Et si on réussit à transformer les institutions peut-on constituer des subjectivités politiques. Comment introduire des institutions démocratiques auprès de citoyens qui n’ont pas fait l’expérience de la démocratie. Voir l’exemple du système scolaire qui est élitiste et qui brise les velléités de coopération des citoyens.
Le problème est celui du temps et cela passe par la socialisation scolaire.
Un dernier rappel bibliographie
- De la liberté des anciens comparée à celle des modernes de Benjamin Constant
- Benjamin Barber : Strong Democracy ; Et si les maires gouvernaient le monde ? ; Comment le capitalisme nous infantilise .