Une tête du réseau
Entretien avec Magali Brogi, cheffe de projet à l'office de l'urbanisme
Pour vous, la participation citoyenne, en une phrase, c’est…
Faire ensemble pour l’intérêt général.
Ce serait : faire ensemble pour l’intérêt général. C’est partager des problématiques et trouver ensemble les solutions, dans un esprit d’intérêt général pour le bien de toutes et tous.
Comment y êtes-vous venue et ce que vous faites aujourd'hui ?
En préparant cet entretien, je me suis souvenue de ma première expérience de concertation, qui a porté sur la détermination, dans le cadre d’un document de planification, d’un espace à protéger comme corridor à faune, ainsi que d’une coupure verte. J’étais jeune chargée de mission et nous avions mis autour de la table des chasseurs, des associations protectrices de l’environnement, des partenaires politiques et économiques dont les intérêts étaient complétement divergents… La solution finale retenue n’a pas été une solution du plus petit dénominateur commun, bien au contraire et contre toute attente grâce à une alliance très forte entre les chasseurs et les associations de protection environnementale. Deux mondes qui refusaient de se parler jusque-là ont permis de convaincre le monde politique et économique de protéger ces espaces de toute construction. Du coup, depuis mes premières expériences professionnelles, la participation fait partie de mon mode opérationnel.
Mon rôle consiste essentiellement à favoriser l’interface entre différents acteurs pour aboutir à la concrétisation de projets avec l’adhésion du plus grand nombre.
Aujourd’hui, je suis cheffe de projet à l’office de l’urbanisme, en charge du grand secteur de Bernex et Onex. Mon rôle consiste essentiellement à favoriser l’interface entre différents acteurs pour aboutir à la concrétisation de projets avec l’adhésion du plus grand nombre. Ces acteurs, ce sont tout d’abord les différents services de l’Etat qui mènent leurs politiques publiques respectives, avec chacune leurs enjeux propres [transports, gestion des risques naturels, protection du patrimoine, etc.]. Ce sont aussi les propriétaires privés, les communes, les opérateurs urbains, les associations. Il s’agit de faire en sorte que les intérêts, les besoins de chacun d’entre eux soient pris en compte dans le projet, qu’il y soit répondu de la meilleure manière possible, tout en atteignant les objectifs de la politique publique cantonale d’aménagement du territoire.
Pour le grand projet Bernex, l’enjeu est de penser la mutation de ce périmètre - comment passer d’une petite ville à un pôle régional - et ainsi concrétiser l’image qui a été fixée il y a maintenant près de dix ans pour le développement de ce territoire. On parle de 2 500 logements et de 2 500 emplois à créer dans une première phase. C’est une extension sur zone agricole et si on peut travailler avec les riverains proches, on ne connait cependant pas les futurs habitants. Sur la commune d’Onex, en revanche, c’est plus un travail de couture urbaine, sur un bâti existant : comment on arrive à le transformer, en composant avec des enjeux de densification, de déplacements, les enjeux écologiques, tout en tenant compte des besoins et de la réalité des habitants et des habitantes qui occupent déjà ce territoire.
Pour ce qui est plus concrètement de la concertation…
La concertation se situe vraiment à différents niveaux : avec les habitants et les associations mais aussi avec les services de l’Etat, les propriétaires fonciers et les communes. Quand je suis en direction de projet, [des séances de travail qui regroupent les communes et les services de l’Etat et puis parfois les opérateurs] c'est aussi de la concertation : on est dans un système d’intelligence collective pour réussir à faire émerger l’intérêt général, tout en prenant en compte chaque politique publique.
On est dans un système d’intelligence collective pour réussir à faire émerger l’intérêt général, tout en prenant en compte chaque politique publique.
Ce qui est intéressant dans ce travail, c’est que l’on ne s'adresse pas aux mêmes acteurs à tous les moments du processus du projet : on va aller vers des acteurs à un certain moment et vers d’autres à d’autres moments. Le travail participatif avec les associations ou les habitants suppose d’avoir au préalable, au niveau cantonal, déterminé les invariants. J’entends par là le socle d’une vision territoriale pensée à l’échelle cantonale, des fondements déterminés par les décisions politiques ou émanant d’autres instances et qui ne doivent pas être remis en cause.
Par exemple, concrètement, sur un projet de PLQ*, on va déterminer quels sont les arbres à préserver, est-ce qu’on se trouve en présence d’enjeux environnementaux importants au niveau de l’air, de la pollution, des risques majeurs, de la protection des sols… Cela peut aussi être une école, un parking relais ou d’autres infrastructures d’intérêt général qui doivent trouver place à l’intérieur du projet. On détermine ces éléments en travaillant avec un grand nombre d'interlocuteurs, plutôt au niveau des services de l’Etat et avec des bureaux d’étude. Une fois qu’on a posé les enjeux disons incompressibles, on va pouvoir travailler sur la densité et la forme urbaine.
Alors, le projet peut commencer à prendre forme en discussion avec les habitants. Je pense que dans le cadre de la concertation, c’est illusoire de croire que l’on peut tout faire tous ensemble à toutes les étapes du projet. Il y a des étapes techniques, des étapes politiques, des étapes dans lesquelles on travaille avec les associations et les habitants puis des moments pour travailler tous ensemble.
Je pense que dans le cadre de la concertation, c’est illusoire de croire que l’on peut tout faire tous ensemble à toutes les étapes du projet.
Il reste encore de la marge de manœuvre : il n’y a pas qu’une seule solution possible pour un projet, il y a toujours plein de solutions possibles. Sauf que souvent, comme c’est un travail cadré par différents documents de planification, ce n’est pas à ce niveau-là que le pouvoir d’agir des habitants peut-être le plus grand.
En revanche, si on parle d’un projet à l’échelle d’un territoire communal, comme un plan directeur communal, dont le but est de faire un diagnostic sur les enjeux d’un territoire, de définir ce qu’on veut pour cette ville demain, comment on veut qu’elle soit organisée, là le pouvoir d’agir des habitants et des associations peut être très important, parce qu’on est très en amont. Quand on travaille à cette échelle-là, on peut faire se rencontrer les intérêts et les besoins de tous pour arriver au plus grand dénominateur commun.
Et c’est vraiment intéressant de travailler avec les habitants et les associations parce qu’ils ont une connaissance très fine du territoire et de ses enjeux que n’auront jamais un bureau d’études extérieur ou même les services de l’Etat.
Une expérience particulièrement réussie ?
Il me semble que la démarche d'élaboration du plan guide d'Onex était une expérience particulièrement réussie. Lorsque l’Etat a décidé sans concertation qu’il fallait densifier les zones villa* il y a quelques années dans le but de répondre aux besoins de logements sur Genève, cela a créé d’énormes tensions. Sous la pression de la commune d’Onex, l’Etat a accepté d’engager une réflexion, avec l’élaboration d’un document cadre qu’on a appelé plan guide, pour réfléchir à la façon de faire évoluer le périmètre concerné de la commune. Au départ, la quasi-totalité de ce qui est défini comme zone 5* à Onex devait basculer en zone de développement*, ce qui signifiait un changement de configuration radical. Avec l’aide d’un bureau d’études, nous avons engagé un véritable travail de concertation, pour poser un diagnostic avec les habitants. Ce sont eux qui nous ont dit quels étaient les invariants.
Nous avons engagé un véritable travail de concertation, pour poser un diagnostic avec les habitants. Ce sont eux qui nous ont dit quels étaient les invariants.
Parcelle par parcelle, nous avons identifié ensemble les arbres à conserver, les villas à protéger. Ce travail a ensuite été complété par des analyses techniques réalisées par des bureaux d’étude et des services de l’Etat. Nous sommes ensuite arrivés à un diagnostic partagé, puis nous avons soumis à la population différents scenarii de développement pour le territoire. On a procédé par questionnaire, il y a eu des votes et un choix. Sur 800 parcelles concernées, 150 à 200 personnes se sont exprimées. La commune a joué le jeu en acceptant le scenario qui avait remporté le plus de voix.
Dans ce scenario, ce n’était pas la quasi-totalité de la zone villa qui était vouée à se transformer mais seulement une partie : des 40 hectares initialement envisagés, seuls 17 hectares devaient progressivement faire l'objet d'un développement urbain. Ce sont les parcelles qui sont les plus proches du tram, où il n’y a pas de maison de maître, et dont les villas peuvent faire l’objet de mutations importantes à long terme. Le politique nous a fait confiance et les résultats de la concertation ont réellement été considérés.
L’Etat a donc fait machine arrière pour retenir une solution viable et préserver des éléments précieux pour la qualité de vie des habitantes et habitants. La forte densité de la commune (avec la cité d’Onex notamment) est une des raisons de ce compromis Ce qui est intéressant, c’est que la commune a modifié son plan directeur dans le prolongement de cette démarche qui va également structurer les PLQ et les autorisations de construire.
Ce fondement là nous permet de décliner les choses et il y a une vraie légitimité grâce à ce travail.
L’intérêt des démarches coopératives et participatives quand vous pensez au futur de la région genevoise
Je suis convaincue de cet intérêt. Cependant, je pense qu’à l’échelle du bassin de vie franco-suisse, avant de concerter, il faudrait d’abord faire un vrai travail d’information, d’explication, de ce qu’est ce territoire et de ce que cela implique d’y vivre ensemble. Sans parler forcément des frontaliers, il y a de part et d’autre de la frontière des gens qui ne se rencontrent jamais, qui cohabitent sur un même bassin de vie mais qui ne connaissent pas du tout leurs réalités respectives. A mon sens il manque un travail de fond, qui relèvent des institutions pour nourrir un sentiment d’appartenance à un même territoire, avant de pouvoir faire de la participation. Cela pourrait passer par les écoles ou par des actions, des animations, pour informer sur le Grand Genève et réussir à gommer la frontière plutôt que celle-ci soit perçue très négativement comme à l’heure actuelle, uniquement comme un lieu où se concentrent les nuisances.
Un défi que vous seriez prête à prendre à bras le corps
Ce serait d’aller chercher ceux qui ne participent pas. Le défi est de réussir à faire participer ceux qui ne s’expriment pas et plus spécifiquement ceux qui n’ont forcément la possibilité de le faire par le vote. C’est une réflexion d’ordre plus philosophique, mais, sur des questions locales cantonales, ce n’est pas normal que les étrangers n’aient pas le droit de vote à Genève. Quand on parle des questions urbanistiques, ils se disent peut-être que ce n’est pas pour eux, je m’interroge. Je suis persuadée que les projets qui sortiraient seraient différents, parce que c’est cette population-là, plus modeste, qui a besoin de logements plus grands, d’espaces de vie, qui a besoin d’autre chose que ceux qui viennent s’exprimer dans nos concertations. Si on entendait leur parole, les projets en seraient changés. C’est une vision très personnelle.
Si on entendait leur parole, les projets en seraient changés.
Une critique, un doute, un regret ?
Le point sur lequel je suis le plus critique, c’est que souvent en concertation les gens viennent pour un intérêt particulier. Comment réussir à dépasser l’intérêt particulier pour aller vers l’intérêt général ? Je pense que dans nos techniques d’animation, dans nos manières de concerter, il faut être vraiment attentifs à ça.
Aujourd’hui, la société est beaucoup plus cloisonnée, je pense à l’effets des réseaux sociaux qui invitent à rester dans nos bulles et j’ai l’impression que l’entre soi est en train de prendre des proportions très importantes. Maintenant, sur un sujet de débat public, soit on est pour, soit on est contre, quelque soient les groupes. On n’arrive plus trop à entendre les arguments des autres. Et quand on va concerter, discuter, débattre avec quelqu’un qui n’est pas de notre sphère, c’est de moins en moins facile, parce qu’on est persuadés d’avoir raison et que l’autre a tort. La rencontre est de moins en moins évidente.Comment réussir à dépasser l’intérêt particulier pour aller vers l’intérêt général ? (…) Dans nos techniques d’animation, dans nos manières de concerter, il faut être vraiment attentifs à ça.
Et du coup le 3DD, c'est l'occasion rêvée de... ?
…de discuter de tous ces sujets-là, au fond. Le 3DD est un espace qui permet de faire rencontrer différents horizons, de discuter des enjeux de fond qui sous-tendent la concertation.
Un mot pour les acteurs et les actrices du réseau ?
Continuez, ne lâchez pas.
Magali Brogi est cheffe de projet à l’office de l’urbanisme, administration cantonale genevoise. Après une formation initiale en sociologie et en économie, elle a étudié la géographie, l’aménagement du territoire et l'urbanisme avant d’exercer en tant qu’urbaniste en France voisine et maintenant à Genève.
Contact : magali.brogi@etat.ge.ch
Pour en savoir plus sur le plan guide d'Onex