Aux origines de la civic-tech "Villes sans limite"

Alain Renk • 17 avril 2019
dans le groupe Villes sans limite

Origine de la démarche

Nous sommes des architectes et des urbanistes, des sociologues et des codeurs passionnés par l'invention de concepts et de méthodes d’intelligence collective destinés à l’architecture et à l’urbanisme. Nous ne pensons pas nos activités comme de la concertation, mais comme une évolution profonde de nos métiers vers des approches intégrées et contributives. Nous pensons que cette évolution est nécessaire pour accompagner les transitions vers des territoires plus durables et plus inclusifs au niveau mondial. Nous avons initié les dispositifs "Villes sans limite / Unlimited Cities” en 2010, “Wikibuilding en 2014" et "Free Patterns en 2018” au sein d'une agence laboratoire, le HOST lab. Nous sommes à l’initiative de du réseau international "7 Milliards d'Urbanistes / 7 billion urbanists” destinée à partager ces concepts et méthodes en open source avec les autorités, les concepteurs, les organisations citoyennes et les universités. 

Pourquoi croyez-vous à l'intelligence collective à grande échelle pour les transformations territoriales ?

Nous avons vérifié sur 4 continents à travers les organisations qui utilisent nos concepts, et nos propres projets, que cette vision répond à un besoin universel. Alors que nous pensions être relativement isolés lors de nos premières recherches en 2002, nous constatons aujourd’hui que l’évolution vers des pratiques de co-imagination et de co-construction des transformations devient une évidence. La prise de conscience est bien illustrée par l’implication d’institutions internationales comme l’agence Onusienne UN-Habitat à travers le Nouvel Agenda Urbain (NUA) et les Objectifs du Développement Durable ODDs. Le NUA et les ODDs font ainsi de l’inclusion réelle des sociétés civiles un impératif pour la réussite des défis environnementaux et humains. La préservation d’un monde commun et d’une planète habitable pour tous est également notre objectif.

Comment passer de la vision à des projets pragmatiques et concrets, puis à des mutations systémiques globales ?

Nous sommes des enfants de Wikipedia et de Linux. Quand avec un groupe de 10 personnes vous commencez à imaginez des stratégies pour faire évoluer au niveau mondial le système expert fermé de l’urbanisme vers un système contributif ouvert, soit vous êtes dans la pure utopie, soit vous utilisez la puissance du design ouvert et des logiciels libres. Il faut croire suffisamment en la puissance de ses idées, alors qu’aucun marché n’existe, pour les diffuser en espérant que celles-ci seront utiles pour d’autres qui les amélioreront. Et ainsi enclencher une boucle vertueuse. Nous avons pris ce risque.

Que dévelopez-vous exactement, des concepts ou des projets concrets ?

Nous sommes en même temps héritiers d’Edgar Morin et de Christopher Alexander. Du premier, sociologue philosophe, nous avons appris comment en situation de complexité et d'incertitude la théorie éclaire la pratique qui éclaire la théorie qui éclaire la pratique etc. et c’est pourquoi nous pensons nos concepts à partir de la réalité des projets. Du second, architecte et mathématicien, nous suivons les chemins qui permettent de modéliser la complexité avec des trames et des éléments modulaires combinables à l’infini, ce qui permet de capitaliser sur des connaissances communes et de faire de co-imaginer et co-construire des assemblages uniques et complexes. À partir de cette ingénierie de l’intelligence collective à grande échelle, pour partie philosophique et mathématique, nous mesurons comment les activations des contributions favorisent la réussite de projets qui n’avaient pas de solutions quand ils étaient pensés dans une bulle professionnelle étanche, à travers des silos métiers incapables de communiquer entre eux.

C’est une approche complexe, arrivez-vous réellement à intéresser les professionnels et les citoyens ?

Oui, parce que nous attachons beaucoup d’importance à la temporalité et aux séquences. Nous avançons de façon progressive pour laisser aux personnes le temps de construire leur avis et de trouver leurs places au sein de projet complexes. Nous commençons sur des projets de petites échelles mais complexes, qui ont pour objectifs de créer l’envie et la possibilité de projets plus importants. Nous vérifions tous les jours dans notre domaine que simplifier pour être entendu produit des discours simplistes qui sapent la crédibilité des autorités et des experts. À l’inverse, des petits projets complexes permettent d’attirer les contributions des interlocuteurs, puis de les utiliser rapidement et ainsi de créer les preuves que l’écoute est réelle et efficace. Ces preuves créent la confiance comme notre choix assumé de l'Open Source qui garantit que des intérêts privés ne vont pas confisquer l’apprentissage de ceux qui participent à des dynamiques contributives. À partir du moment où les projets sont associés à des socles informationnels communs, la curiosité des interlocuteurs-contributeurs se développe. 

Qui sont vos supports et que pensent les autorités politiques de votre approche ?

La Commission Européenne à financé nos premières recherches et développements logiciels de 2010 à 2012, la Fédération Nationales des Agences (publiques) d’Urbanisme en France nous a permis de rencontrer l’agence ONU Habitat lors de la conférence Habitat III à Quito en 2016, nous sommes partenaires associés du World Urban Campaign d’ONU-Habitat depuis 2017 et nous sommes partenaires depuis 2018 de la Free-IT foundation de Genève qui soutient les initiatives open source d’intérêt général. Nos autres supports sont les citoyens, les autorités, les concepteurs, les organisations civiques et les universités qui utilisent, critiquent et transforment les méthodes que nous avons initiées. Les autorités politiques sont constituées de femmes et d’hommes qui cherchent de nouvelles solutions compatibles avec le monde actuel et suffisamment efficace pour produire des ruptures avec les trajectoires du business as usual qui conduit nos civilisations dans le mur. C’est un chemin étroit et nous respectons cette difficulté en proposant des approches progressives et adaptatives qui sont bien acceptées pour cette raison.    

Comment travailler avec des membres du réseau 7 Milliards d'Urbanistes ?

Vous êtes libres d’utiliser les démarches collaboratives appuyées sur des outils numériques open source et gratuits en vous adressant au réseau 7 Billion Urbanists qui développe des services à prix raisonnés pour déployer et contextualiser villes sans limite. Il y a aussi la possibilité de vous mettre en contact avec des interlocuteurs proches de votre région en Europe, Asie, Amérique du Sud et bientôt en en Afrique. Le réseau est à votre disposition pour faciliter la création de projets collaboratifs intégrés en associant des concepteurs du territoire pour que les démarches puissent s’ancrer dans les écosystèmes locaux.  

Alain Renk

Illustration : 7 février 2012 Tokyo, présentation du concept avec l'architecte Daisuke Sugawara, rencontre organisé l'Institut Français 

Thème(s)
Nature de la ressource
Territoire(s) concerné(s)